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Qu’est-ce que la recherche scientifique ? (6/6)

Conclusions

Lundi 7 décembre 2009 (mise à jour mardi 2 août 2011)

Cette série d’article a essayé de donner une image juste mais probablement partielle, voire partiale, du monde de la recherche scientifique, de ses méthodes, de ses attentes, de ses enjeux, de ses retombées, de son rôle dans la société. En guise de conclusion, cet article synthétise les points les plus importants abordés tout au long de ces textes.

Depuis des centaines d’années, la recherche scientifique fertilise l’activité humaine en lui donnant accès à l’inimaginable : l’homme de la préhistoire aurait-il pu imaginer le monde qui nous entoure et qui nous semble pourtant si « naturel » ?

L’homme a toujours souhaité maîtriser ce qui l’entourait, surtout pour se prémunir des conséquences néfastes de certains phénomènes naturels et pour augmenter son confort et sa paresse. Il est plus facile et moins dangereux de cultiver des plantes et d’élever des animaux que de consacrer une bonne part de son temps à cueillir ce que la Nature offre spontanément, mais souvent parcimonieusement, et à chasser la grosse bête avec des armes rudimentaires.

Cette curiosité l’a poussé à imaginer des stratégies diverses, qui toutes ont finalement abouti à augmenter la richesse de notre connaissance. De générations en générations, nous avons acquis ce qui à chaque fois semblait inimaginable, en connaissances brutes, en technologies performantes, en réflexions philosophiques. Gagner une nouvelle parcelle de connaissance, c’est à chaque fois nous éloigner de nos peurs ancestrales, c’est à chaque fois ouvrir notre avenir en termes de potentialités à explorer.

Parce que la Nature est unique, en comprendre un morceau, c’est apporter une pièce qui donne un sens au tout. La recherche scientifique n’est pas seulement une approche parmi d’autres pour explorer ce vaste et mystérieux monde qui nous entoure. Sa spécificité en fait un des piliers indispensables à la construction d’une connaissance précise, efficace (au sens des ingénieurs) et durable.

L’ignorer, ça peut être de la paresse intellectuelle. La mépriser, ça pourrait passer pour une fatuité inopportune. Mais l’étouffer, c’est un aveuglement profond qui signale un esprit étroit et inculte.


Au début de l’Histoire, celle qui se gravait sur des pierres, des Dieux sélectionnés ont commencé à répondre aux questions des hommes, remplacement d’un animisme où toute chose avait sa propre volonté. Quelques dieux furent choisis pour diriger le monde. Ils furent rassemblés dans un Panthéon quelconque, vers lequel se destinaient nos prières et nos offrandes, afin de nous rassurer, de nous offrir consolation et réconfort face à l’incompréhensible, à l’inconnu, et au mystérieux. Puis finalement un seul Dieu pour les remplacer tous, unique phare lors de nos errements dans nos ténèbres intellectuelles. C’est une voie qui a donné une certaine forme de réponses à des questions fondamentales…

Pendant ce temps, Archimède avait compris que des masses très lourdes pouvaient flotter sur l’eau. Plus tard, comme pour lui répondre, on a appris à faire voler des plus lourds que l’air.

Pendant ce temps, Ératosthène mesurait déjà la Terre sphérique dans la conception qu’il avait du monde. Plus tard, pour confirmer son calcul, la boussole a tracé des routes maritimes pour parcourir notre planète dans tous les sens.

Pendant ce temps, Ptolémé construisait un modèle géocentrique du système solaire. Plus tard, pour le corriger, Copernic a introduit le système héliocentrique.

Pendant ce temps, Aristote formulait la cause finale comme modèle du mouvement. Plus tard, Galilée et Newton ont élaboré une mécanique plus expérimentale dans le langage des mathématiques les plus récentes.

Pendant ce temps, la recherche scientifique s’inventait elle-même et cherchait des réponses, elle aussi, aux questions fondamentales, réponses qu’elle souhaitait à la fois plus sûres et plus efficaces. Plus tard, elle a perfectionné ses méthodes, elle a étendu son champ d’application et elle a corrigé sans relâche ses balbutiements et ses erreurs.

Pendant ce temps, le Dieu unique s’est fait déposséder de nombreuses de ces questions. Les réponses qu’on lui attribuait se faisaient récuser peu à peu : les mouvements dans le ciel, l’histoire géologique de la Terre, la longue chaîne de la vie… Demain, quel territoire « mystérieux » lui réservera-t-on encore ?

Ce n’est pas une guerre de la science contre les religions. C’est l’indéniable efficacité d’une méthodologie qui fonctionne, qui éloigne toujours plus loin la frontière de la connaissance, parce que les réponses qu’elle nous apporte sont des faits. Les religions ont voulu apporter des réponses en bloc, souvent immuables depuis que leurs Écritures ont consigné les révélations offertes par leurs dieux. La science n’a jamais commis se pêché d’arrogance. Au contraire, elle s’est inventée et définie en même temps que la connaissance qu’elle a su nous apporter patiemment.


La science, à travers la connaissance qu’elle produit, est une composante du savoir. Parmi toutes les autres, elle est la seule qui donne plus de pouvoir à l’Homme face à la Nature, parce qu’elle entretient des liens étroits avec la technologie. À ce titre, la science est plus précieuse que les autres formes de savoir, car elle peut permettre à l’Homme d’accomplir le plus beau mais aussi le plus désastreux.

Mais la science n’est pas toute-puissante. Aussi, elle ne sera jamais la solution tant convoitée à tous nos maux. Elle n’en est d’ailleurs pas non plus la cause.

La laisser explorer les territoires de connaissance qui lui sont attribués est une nécessité absolue pour l’Homme. Non pas qu’il en ait besoin pour survivre, mais il en a besoin, plus prosaïquement, pour vivre son quotidien.

En effet, essayer de répondre aux questions essentielles posées par le monde qui nous entoure est un fait de toutes les sociétés humaines, une constante constitutive de ce qu’est l’Homme. L’évolution nous a gratifié d’un cerveau très particulier aux capacités étonnantes : nous ne pouvons l’ignorer, nous devons l’accepter et nous devons combler nos propres désirs de connaissance pour nous affranchir de nos propres angoisses.

C’est pourquoi il est inutile de demander à un chercheur ce qui le pousse à chercher, tout comme il est inutile de demander à un explorateur ce qui le pousse à explorer. C’est tout simplement parce que ce cerveau sait qu’il reste toujours quelque chose d’inconnu derrière ce qu’il a déjà vu.

C’est aussi pourquoi il est absurde de demander à un chercheur à quoi sert d’en savoir plus, tout comme il est absurde de demander à un artiste à quoi sert une œuvre d’art. C’est tout simplement parce que ce cerveau est ainsi constitué qu’il a besoin d’autre chose, pour combler ses attentes, que ce qui fait vivre le corps qui le contient.


Comme les articles de cette série l’ont montré, la connaissance n’a pas pour vocation de servir à quelque chose, mais il se trouve qu’elle peut servir à des tas de choses ! Son moteur est à rechercher avant tout dans la curiosité et dans l’insatisfaction d’être passif plutôt qu’actif face à la Nature. Le terme actif ne signifie aucunement d’être maître de la Nature au sens technologique. Il s’agit d’être actif dans ce qu’on sait sur elle, en cherchant à en pénétrer ses secrets. Souvent c’est l’accepter telle qu’elle est.

C’est là où le chercheur rejoint le poète : décrire un coucher de soleil sur l’horizon d’un océan, c’est potentiellement écrire des vers universels et intemporels, mais c’est aussi saisir d’un regard des phénomènes naturels à la fois très divers et très simples, et qui, combinés dans ces moments-là, font que comprendre c’est aussi admirer ce qui est derrière les apparences. Il est plaisant que ce que le poète voit, le chercheur puisse le voir lui aussi. Il est dommage que ce que le chercheur puisse percevoir, seuls des initiés puissent le percevoir eux aussi.

Dans les années 1930, Hans Bethe met en place la théorie de la nucléosynthèse des étoiles, qui permet d’expliquer d’où les étoiles, comme le Soleil, tirent leur énergie pour briller si intensément et si longtemps. Imaginez le sous un ciel étoilé, dans un de ces instants si chers aux poètes : son intelligence lui permet d’aller au delà des apparences, pour pénétrer au cœur des astres, et de voir ce qu’aucun autre être humain n’avait encore jamais vu avant lui. Il comprend les étoiles briller…

Le plaisir de la recherche dépasse certainement l’entendement des non initiés. Au delà de la simple connaissance sur laquelle l’esprit prend plaisir à travailler, faire une découverte scientifique est toujours un instant unique dans l’histoire humaine : avant cette découverte, on ne savait pas, après, il est trop tard pour découvrir. Ces instants précieux, certainement très égoïstes, sont des perles enfilées le long d’une vie d’un chercheur. Arrivé à l’âge du bilan, avant de tirer sa dernière révérence, pour peu qu’il soit bien garni, ce collier lui permet de regarder en arrière fièrement, ayant participé à une démarche inscrite dans l’humanité depuis des milliers d’années. Parfois, une seule perle, de belle taille, justifie une vie de chercheur.

Peu d’autres activités humaines ont cette capacité à élever aussi haut le destin de ceux qui s’y consacrent, même modestement.


Dans nos sociétés troublées, la recherche scientifique est récupérée comme un enjeu politique et économique d’ampleur internationale. On lui confère souvent l’incroyable pouvoir de dynamiser l’économie moribonde. Certes, elle n’est pas encore cotée en bourse (ce qui montre bien que ses acteurs sont ringards) mais ça n’empêche pas nos hommes politiques de l’utiliser comme argumentaire dans l’élaboration de prétendues solutions à des problèmes face auxquels ils n’ont aucune réponse satisfaisante. On la force alors à s’inscrire dans un projet de société hâtif et bien souvent futile. Il n’est pas étonnant que ça se fasse de façon conflictuelle.


J’espère que ces articles ont pu éclairer les esprits curieux et replacer à leur justes valeurs les enjeux poursuivis par les milliers de chercheurs en science à travers le monde.